Comment vis-tu la différence entre la colère issue de l’identité et la colère issue de la non-identité ?
La colère issue de l’identité masque une souffrance que je veux éviter de ressentir. C’est une stratégie de l’ego. En mettant la colère de côté, et en retrouvant en moi l’humilité, je peux accéder à la souffrance nécessaire et la ressentir.
La colère divine est une énergie pure, sans émotion, sans intérêt personnel, qui émerge dans le moment présent. C’est une manifestation d’amour, une énergie de compassion.
La colère issue de l’identité est « sombre », mêlée à de la gêne, de la rancœur ; elle va de pair avec une focalisation sur ce qui semble injuste et une grosse crispation de toute la personne sur ce point-là. La colère issue de la non-identité est « claire », directe, franche, parfois un peu théâtrale, et le rire n’est pas loin.
La colère issue de l’identité est dévastatrice (même s’il s’agit d’une « petite » colère) et je la ressens comme emportant tout, me laissant tremblante. J’irais même jusqu’à dire que je la ressens dans mon sang… D’ailleurs ne dit-on pas : « mon sang n’a fait qu’un tour » ?
La colère issue de la non-identité ne laisse aucune trace, même si elle peut cependant paraître violente de l’extérieur. Elle ne laisse pas de trace chez moi et j’ai l’impression qu’elle n’en laisse pas non plus chez la personne vers qui elle est dirigée.
Je distingue la colère issue de l’identité par les considérations internes en amont, ou la résonance avec une charge émotionnelle en arrière-plan, en réponse à une tentative d’emprise de la part de l’autre, peut-être plus particulièrement dans le cas de tentatives d’humiliation ou d’accusation, de reproches.
La colère issue de la non-identité est pour moi quelque chose qui fuse spontanément, dans une absence de doute et d’impact interne.
J’ai très peu d’exemples de colère qui me reviennent. De l’irritation, oui, et il me suffit alors d’accueillir la souffrance nécessaire pour que ça disparaisse. Les rares colères dont je me souvienne avaient quelque chose d’un peu forcé, non fluide, et elles ont laissé un arrière-gout de culpabilité, de quelque chose qui n’était pas propre. C’étaient des colères polluées par l’identité.
A contrario, je sais que j’ai eu des colères non-identitaires, mais elles n’ont laissé aucune trace. En tous cas, je n’arrive pas à me remémorer de contexte. Mais il me semble qu’elles ont juste laissé un parfum de quelque chose de naturel, dans l’instant, avec même un soupçon de bienveillance, malgré la colère exprimée.
J’ai peu de souvenirs de colère issue de la non-identité, alors que sont encore présents en moi des souvenirs de colères issues de l’identité, probablement à cause des impacts dans mon système nerveux, des remords et de la honte ressentie quand j’évoque ces souvenirs et que j’en observe les conséquences sur les autres.
J’ai vécu ces colères-là comme destructrices, renforçant mes mécanismes identitaires, et d’une certaine façon, annulant le travail de dépouillement, tel le rocher de Sisyphe retombant inexorablement de la montagne…
Au contraire, la colère issue de la non-identité ne laisse absolument aucune trace, j’ai à ce propos un exemple très récent. Je n’ai d’ailleurs pas réalisé tout de suite que je m’étais mis en colère. C’est ensuite, tellement surpris de ma réaction et de ses conséquences, que je l’ai codée comme de la colère.
Lors d’une conversation téléphonique, mon interlocuteur a affirmé quelque chose à propos d’autres personnes, et ce qu’il a dit était à mon avis complètement aberrant. Mon ton de voix a changé, je n’ai pas crié mais je dirais que j’étais dans une colère froide, et je l’ai recadré très fermement. J’ai été très surpris moi-même par mon intervention, et le fait que mon interlocuteur n’ait pas raccroché m’a presque étonné. De fait, non seulement il n’a pas raccroché, mais il a acquiescé de façon plutôt humble… J’ai vécu ceci comme juste et aligné, en accord avec moi-même.
Je connais surtout la colère issue de l’identité, qui s’exprime la plupart du temps dans la relation avec mon fils. La colère identitaire laisse des traces en moi, il y a de la lourdeur associée à cette colère-là, parce que ça enclenche toute une dynamique identitaire sur laquelle je dois faire ensuite un travail pour ne pas me laisser polluer, notamment par la culpabilité ou le dialogue interne du type « je suis vraiment une merde !! ». Associé à ce type de colère, je ressens aussi de la honte et du remords. Récemment, c’est allé loin ; juste après avoir cédé à la colère identitaire, j’ai ressenti comme si je me reniais intérieurement, comme si je reniais la vie… C’était atroce, et ça m’a fait l’effet d’un électrochoc. Suite à ce ressenti extrême, j’ai pris une décision existentielle, celle de ne plus me laisser embarquer là-dedans, et de tout mettre en œuvre pour que ça ne se reproduise plus.
Dernièrement, j’ai eu un ressenti très différent et j’ai eu l’impression que la colère était issue de la non-identité. Lorsque c’est arrivé, cela n’a pas laissé de traces en moi, je l’ai ressentie comme une colère « juste » dans le sens où j’ai eu l’impression que cela ne venait pas d’une réaction identitaire, mais que cet éclat était simplement nécessaire dans le contexte où il a émergé. Il n’y a pas eu de conséquence en moi, pas de lourdeur, pas de honte, pas de culpabilité, et j’ai pu reprendre un ton normal directement après.
Mais je sens bien que je suis sur le fil, que ce n’est pas du tout acquis, qu’il me faut garder une vigilance extrême.
Dans mon passé récent, je ne vois pas de colère exprimée, mais seulement des irritations que j’ai transformées par l’accueil de la souffrance nécessaire. Dans mon passé plus ancien, je perçois la colère comme étant l’expression d’une incompétence, ou d’une fuite, ou de tentatives de manipulation de mon entourage. Surgissant quand mon intérêt personnel était en jeu, comme un rempart protecteur pour ne pas me remettre en question ni accepter ce que l’événement ou l’autre me renvoyait. Par l’expression de la colère, je blessais l’autre pour éviter d’être blessé moi-même.
Je dirais que la colère non-identitaire m’apparaît comme n’étant pas motivée par une incompétence dans la gestion d’une relation, ni une fuite, ni une tentative de manipulation ; elle est factuelle, apparaît dans le moment, est déclenchée par le contexte, elle survient comme pour rétablir un équilibre, réveiller, faire prendre conscience à quelqu’un de son comportement par exemple. Elle ne laisse pas de traumatisme dans le mental ou le ressenti.
Elles sont moins fréquentes, mais souvent issues de l’identité : elles se manifestent la plupart du temps à l’écoute de discours politiques, ou quand l’injustice pointe son nez avec son train-train de faim, de chômage, de logements insalubres, de guerres etc. Très vite la tristesse prend le relais, car je me rappelle que cette colère est stérile, que j’oublie que la vie n’est ni juste ni injuste, mais que mon monde est à beaucoup d’égards à l’image de ce que j’entends et vois : des jugements, des commentaires, des croyances, des critères « c’est juste et ce n’est pas juste », « je veux et je veux pas », « j’aime et j’aime pas » : séparation. Il y a de plus en plus de tristesse au fond de moi en surimpression… séparation aussi ?
Je peux entendre ces mêmes discours froidement, sans commentaires et sans colère donc, quand je suis déjà dans le silence et dans l’attention corporelle.
Et puis il y a la colère qui surgit quand par exemple mon mari, au volant de la voiture, ne regarde pas la route car il cherche ses lunettes (il a failli nous mener dans le fossé) : la peur surgit, puis la colère très vite, j’en rajoute, j’accuse.
La colère aussi quand j’oublie où j’ai laissé un document… Même constat, si je suisdéjà dans le silence et dans l’attention corporelle, je reste propre, je constate simplement et je réfléchis, sinon c’est clairement de la colère identitaire qui apparaît : je suis nulle, pas dans l’attention, jugement, séparation.
J’ai expérimenté, il y a quelque temps, une colère « froide ». Comme si le noyau de mon être était neutre mais qu’une action s’imposait à travers moi en réponse à un problème donné. Une action très directe et immédiate, chargée d’une force, d’un dynamisme pas du tout fébrile, mais dirigé droit vers le but. Implacable. Ça n’était absolument pas perturbé par l’émotionnel. L’action surgissait de moi et j’en étais à la fois l’acteur et le spectateur. Aucune peur de froisser, de perdre l’affection de la personne vers laquelle cette « colère » était dirigée.
Voici ce qui est arrivé : après quelques jours d’absence, je rentre chez moi et je trouve mon appartement, que j’avais laissé à ma fille et son copain, dans un BORDEL INCROYABLE.
Immédiatement, il me vient l’idée de prendre quelques photos pour qu’il n’y ait pas la moindre contestation, puis je rédige, froidement, presque chirurgicalement, un sms à ma fille. Je lui décris très factuellement ce que j’ai trouvé à mon arrivée, mon étonnement et même ma déception. J’invoque la confiance que je lui ai accordée et la renvoie à sa responsabilité. Les mots sortent tout seul. Tout s’enchaine avec fluidité. Je ne ressens aucune tension, ni crainte, et envoie le sms. À ce moment, je n’ai aucune certitude de la façon dont elle va réagir, mais je sais au fond de moi-même que c’est exactement ce qu’il me fallait faire, quelles qu’en soient les conséquences.
Je décide de ne rien toucher et reçois sa réponse peu après : elle arrive. Une fois à l’appart, elle s’excuse brièvement et commence à tout ranger, balayer, remettre en ordre, etc. Pendant ce temps, je vaque à mes occupations, sans l’aider. Aucun affect ne vient « souiller » cet instant. Elle finit le rangement, s’excuse encore en essayant d’expliquer son erreur, et on commence alors à discuter des deux semaines passées, dans une atmosphère de plus en plus sereine.
Je vois qu’elle a compris son erreur et qu’en même temps elle est surprise et soulagée que tout se passe ainsi, sans cris, reproches, ni tensions… On peut alors discuter de comment elle en est arrivée là, en toute simplicité.
Je ne sais pas s’il s’agit d’une colère car il n’y a pas eu « d’emportement » de ma part. Je me suis senti au contraire très centré et assuré dans ma réponse à cette situation. D’une certaine façon, je me sentais inébranlable, quel que soit le comportement de ma fille : j’étais prêt à entrer très froidement en conflit avec elle si elle avait fait preuve de nonchalance ou de mauvaise foi. Sans crainte de perdre son affection, ou plutôt avec l’acceptation intérieure que cela pouvait survenir. Comme si j’étais en mode « action juste » avec accueil de tout ce qui en découlerait, sans me défausser aucunement des conséquences éventuelles. Et sans qu’il y ait de place pour la rancœur.
La particularité de ce moment est de constater d’un côté l’évidence de l’action juste, lucide, directe et dynamique se mettant en place, sans affect. Et l’évidence de la neutralité qui me traverse. Aucune émotion ne vient me bousculer intérieurement, donc aucun risque que cela enclenche une rumination, une rancœur, des jugements, etc… Je reste propre !
Il y a un côté « samouraï » : sabrer directement, sans état d’âme, sans reculer, tout en sachant jusqu’à quel point aller dans la taille 🙂
À la différence de mes colères identitaires où c’est alors le résultat qui compte plus que tout : gagner le conflit ! Avoir raison, soumettre l’autre. Dans l’énervement, la fébrilité, le débordement intempestif et le gâchis de mon énergie. L’emportement et la non-maîtrise de moi-même. Et avec de lourdes traces demeurant dans mon système nerveux pendant un certain temps. Ainsi que la nécessité de me justifier auprès d’autrui, afin qu’on me dise que j’ai raison, etc…
Ce que je peux observer c’est que la colère issue de l’identité s’accompagne d’une certaine confusion, alimentée en arrière-plan par une référence au temps où se compilent hier, aujourd’hui et demain… Un truc pas digéré qui surgit d’un enjeu (en je) aux effets toxiques. Cette confusion envahit la tête et le corps et laisse des traces. Concernant la colère vis-à-vis de soi-même, on peut s’infliger de se flageller, ou se justifier avec toutes les bonnes raisons.
La colère issue de la non-identité s’accompagne, en ce qui me concerne, d’un effet surprise ; elle prend des formes différentes pour s’exprimer dans le contexte, quand elle me traverse comme quand elle s’évapore l’instant suivant. Elle ne s’anticipe pas, elle surgit dans l’instant et elle s’estompe sans traces, c’est simplement une écoute de ce qui nous traverse, sans enjeu.
Quand il n’y a pas de séparation, qu’on est un, on suit la vie dans l’acceptation juste de ce qu’elle nous offre à vivre. On devient l’observateur de ce qui nous anime.
La colère identitaire cherche la revanche ou la vengeance. Pour attaquer, rendre les choses « justes » d’après le tableau de bord interne où les blessures sont comptabilisées. La colère identitaire veut égaliser le score.
La colère non-identitaire est un appel à l’action. Exprimée dans un but fonctionnel. Elle est sans attachement et sans besoin de l’exprimer plus que ce qui correspond au contexte. Et dès que c’est terminé, ça disparaît et ça ne nécessite aucun effort pour changer d’état émotionnel.