Pendant des années, tu ne reconnaissais pas ce qu’était la conscience corporelle, n’est-ce pas ?
Pas exactement, je savais ce que c’était mais je ne parvenais pas à la vivre et ce n’était pas comme maintenant.
Et qu’est ce qui fait que maintenant c’est différent ?
Je pense que maintenant, je suis davantage dans l’accueil. Pour moi, le principal obstacle était l’auto-apitoiement.
Qu’est ce qui t’a fait basculer dans l’accueil ?
J’ai réalisé que j’évitais la souffrance nécessaire par l’auto-apitoiement. Parfois, c’était très subtil. Je reconnais de plus en plus des façons très subtiles de m’auto-apitoyer. Mais comme c’est devenu très évident, j’ai pu prendre la décision de l’arrêter. Une fois que j’ai stoppé cela, j’ai pu accueillir et vivre le rappel de soi, la conscience corporelle et le « je suis ». Donc vraiment, l’obstacle principal a été l’auto-apitoiement.
Qu’est-ce que la conscience corporelle ? Au début, tu étais très loin d’être dans la conscience corporelle, et maintenant tu y es presque tout le temps.
Au début, j’avais beaucoup d’idées et de représentations sur comment je devais la ressentir. Mais ceci s’est effacé peu à peu, pour laisser la place à quelque chose qui n’a rien à voir avec la pensée. C’est une question à se rappeler et c’est la seule chose qu’il faut faire.
Est-ce que c’est vrai que tu as l’impression que la conscience corporelle est quelque chose de plus en plus naturel, pas quelque chose que tu as appris, mais quelque chose qui se révèle de plus en plus ?
Oui, c’est là naturellement quand je ne me mets pas en travers, en oubliant ou en m’associant à mes pensées. Au début, j’essayais de pratiquer quelque chose qui n’était pas naturel, qu’il fallait avoir, ou qui manquait, jusqu’au moment où j’ai réalisé que c’était toujours là.
Autre chose, c’est que depuis le début, il y a quelque chose d’important dans l’aspect global de la sensation corporelle et pas seulement, la conscience d’une sensation locale dans le corps. Le fait de revenir à la sensation physique des pieds ou des mains, c’est une porte, mais ça ne suffit pas. La conscience corporelle globale est plus large, et le corps devient comme transparent ; c’est comme si j’étais un fantôme. S’il n’y a pas ce côté global, ce sont juste des sensations locales et il n’y a pas cette dimension immatérielle, de « fantôme ».
Merci, c’est une très bonne synthèse de ce qu’on a échangé en ton absence. Le sujet suivant, c’est l’attention partagée. Comment est-ce que tu la vis ?
Je ne suis pas aussi bon pour pratiquer l’attention partagée. Quand j’ai lu cette partie, il y avait une suggestion d’utiliser le P. A. C. I. L. et je me souviens de l’avoir utilisé, et c’était très bien pour moi qui avais tendance à oublier les choses. Donc c’était un bon rappel.
C’est aussi naturel, et au même niveau que la conscience corporelle. Le plus difficile, c’est de passer de 99% à 100% du temps en conscience corporelle. Et alors, l’attention partagée devient un phénomène naturel. Est-ce que pour ceux qui sont à 100%, c’est naturel ou est-ce que ça nécessite un rappel particulier ?
Je ne dis pas que je suis dans la conscience corporelle à 100%, mais clairement, quand je suis dans la conscience corporelle, l’attention partagée est présente naturellement. Ce sont les deux faces de la même pièce. Et d’ailleurs, l’absence d’attention partagée est un très bon indicateur pour moi que j’ai perdu la conscience corporelle.
Une des choses qui m’aide à être dans l’attention partagée, c’est de me concentrer sur ce que je fais, sur ce que je sens avec mes sens maintenant : voir, entendre, toucher.
La conscience corporelle et l’attention partagée ne peuvent être que dans l’ici et maintenant.
Parfois, je ne sais pas bien si j’y suis à 100% ou pas. Ça me rappelle la métaphore des courses, quand on sort et qu’on ne sait plus où on a garé sa voiture : c’est là qu’on réalise qu’on l’a oubliée.
Ne focalisez pas trop sur les 100%. C’est plutôt quelque chose de très naturel qui est là, sans que tu puisses le valider, car on ne peut jamais le valider. Il y a des périodes où c’est dans la continuité; c’est après qu’on se rend compte qu’on n’a pas détecté d’oubli pendant une grande durée. On ne peut pas valider qu’on y était à 100% dedans.
Comme c’est naturel, si on focalise trop dessus, on le perd. Donc il faut lâcher ça aussi. Et aussi, il faut éviter tout ce qui créé du stress inutile. Ce n’est pas bon pour la conscience corporelle. Enfin, même si parfois, les choses ont l’air de se faire toutes seules, il faut faire attention à ne pas appeler ça magique, car c’est un piège.
C’est exact. Quand on est dedans, c’est naturel. Après, ça peut donner l’impression que c’était magique, mais il ne faut pas se faire une représentation ou un concept que c’est magique, car ça serait un piège.
Quelque chose que je voudrais ajouter, c’est que quand tu es dedans, tu es dans l’acceptation totale, et c’est pour ça qu’il ne peut pas y avoir de stress. L’acceptation, c’est que tu es prêt à tout, tu acceptes d’avance tout ce qui peut se produire.
À S. : est-ce que tu peux rentrer dans l’oubli de la conscience corporelle pendant 5 secondes ? Est-ce que tu en es capable ?
S.: Là, sur commande ? Non, je ne crois pas. Ce que je veux ajouter, c’est que tous les soirs, je m’endors avec la conscience corporelle et je me réveille avec, et aussi avec le « je suis ». Et il me plonge dans l’attention partagée de façon très profonde. Et en même temps, j’ai vécu des exemples concrets de frottement dans ma famille où j’ai pu constater que j’accueillais cela dans la conscience corporelle, et que ça ne m’affectait pas.
Ce genre de situation te permet de valider pour toi-même que ça fonctionne.
À G. : comment tu fais pour ne pas perdre la conscience corporelle ?
G.: Je la perds très souvent. C’est un défi journalier de rester dedans, mais je ne peux pas la forcer, sinon, c’est sûr que je vais la perdre.
Qu’est ce qui te fait sortir de la conscience corporelle ?
J’ai remarqué 2 choses. L’une est une espèce d’impulsion physique, où je me sens pressé. Je le remarque quand je conduis ou en parlant très vite des fois.
Vérifie bien quelle est l’origine et quelle est la conséquence de perdre la conscience corporelle.
C’est une conséquence. La deuxième chose, c’est un sens de reproche. Je le vois des fois avec ma femme, à qui je fais des reproches qui sont ridicules. Mais c’est subtil et ça arrive aussi envers la vie ou moi-même. Et si je ne le fais pas, j’ai l’impression que je ne suis plus personne, que du vide.
Donc tu n’as pas accepté la souffrance nécessaire et le vide qui est derrière. Et la cause, c’est l’oubli et la non-acceptation de la souffrance nécessaire.
J’accepte ça avec humilité.
À C. : est-ce que tu es dans la conscience corporelle en permanence ?
C.: Non.
Pourquoi pas ? Comment tu sais que tu ne l’as pas toute la journée ?
Je sais par exemple qu’il y a quelques années, j’ai eu des crises d’angoisse.
C’est toujours là ?
Pas actuellement.
Effectivement, les crises d’angoisse et la conscience corporelle sont incompatibles. Mais là, actuellement, tu es dans la conscience corporelle ?
Oui.
Est-ce que tu peux te mettre comme but d’être tout le temps dans la conscience corporelle, au moins pendant ton séjour ici ?
C’était mon intention. La conscience corporelle n’est pas simplement être conscient de son corps. Ça en fait partie, mais ce n’est pas tout.
En anglais, on dit plutôt : « sensation globale du corps ». Le « global » est très important. C’est plus une sensation physique qu’une conscience.
En fait, ça peut être les deux, une sensation globale ou une conscience globale du corps. Comment tu le décrirais ? Comment tu sais que tu es dans la conscience corporelle ?
Une des choses qui me vient, c’est la notion de foi dans la vie, une sorte de confiance de base. Sans cela, tu es dans la méfiance et dans l’angoisse, et tu ne peux pas être dans la conscience corporelle.
Donc pour toi, la conscience corporelle implique aussi la foi ? Ça fait partie du « je suis ». Tu ne peux pas être dans le « je suis » si tu n’as pas la foi. Mais pour revenir à ma question, comment tu sais que tu es dans la conscience corporelle, en focalisant sur la conscience corporelle dans ta réponse ?
Je ne sais pas à quel niveau c’est, mais il y a une sorte de complétude. Chaque cellule semble remplie.
Et que peux-tu dire des limites du corps ?
Il y a peut-être des limites, mais je ne les ressens pas.
C’est ça ! Ce qui nous intéresse, c’est comment tu fais l’expérience de la chose. Et sans ces limites, tu es naturellement dans l’attention partagée. Tu sais qu’il y a une sorte de corps-fantôme qui navigue dans le monde, et tout le reste qui se passe autour. Est-ce que ça correspond à ton vécu ?
Oui. C’est super de le sentir ici avec vous, parce que c’est difficile de me reconnecter à ça quand je suis seul.
On sait tous que c’est important de se retrouver ici pour s’y reconnecter.
Est-ce que sentir son corps, avec des ressentis qui changent tout le temps, ça permet de dire que je suis dans la conscience corporelle ?
Non, on ne peut pas valider qu’on y est. On ne peut que réaliser qu’on l’a oublié. Et si pendant un an, tu n’as jamais vu que tu l’avais oublié, probablement tu y étais toujours.
Quand je suis dans la conscience corporelle et l’attention partagée, les sensations sont amplifiées, les couleurs plus intenses, les paroles des autres arrivent, mais sans jugement. Est-ce correct ?
Pour l’accueil de la parole sans jugement, c’est effectivement naturel dans l’attention partagée. En ce qui concerne l’amplification des sensations, c’est quelque chose de transitoire, qui peut se produire au début. Ça mobilise une autre façon d’accueillir les paroles et de comprendre ce qui est dit.
Avant, quand je lisais quelque chose, j’avais du mal à garder l’attention partagée, parce qu’il y avait une tension à essayer de comprendre. Maintenant, j’arrive mieux à lire en gardant l’attention partagée. La qualité de la lecture est un peu moins bonne mais suffisante.
J’ai confiance aujourd’hui que je peux transformer la colère. J’essaye de ne pas exprimer ni réprimer mes émotions négatives.
Le point important, c’est de transformer la colère. Maintenant, il faut que tu utilises la conscience corporelle et cette transformation des émotions négatives comme des facteurs de rappel. Il est nécessaire que tu te les rappelles régulièrement, et ainsi, ne pas les oublier. C’est important de ne pas oublier. Et c’est à faire à chaque fois que tu découvres quelque chose de très important. Il faut créer un facteur de rappel. Tu peux t’en souvenir le soir, au moment de t’endormir, et le matin au réveil. La conscience corporelle est sans lien avec les états émotionnels ou la fatigue. Donc que tu sois fatigué ou clair, même somnambule, la conscience corporelle est toujours là. Il ne peut y avoir aucune excuse pour ne pas la pratiquer.