Comment gérez-vous en vous une situation où « en vouloir à quelqu’un » émerge ?
Récemment j’ai vécu une situation désagréable avec quelqu’un, et sur le moment j’ai accueilli la souffrance nécessaire sans exprimer de désagrément ; ensuite en y repensant quelque chose comme « lui en vouloir » a émergé, et en y regardant de plus près, j’ai compris que cette interprétation était complètement subjective, c’était lié à une attente de ma part sur ce que « cela aurait dû être ». Je l’ai vu comme un tampon, un mécanisme essayant de protéger quelque chose, et donc à dénoncer immédiatement.
Je dirais qu’en vouloir à quelqu’un est quelque chose de subjectif qui ne peut émerger que d’un point de vue partiel, mais qui n’a pas de réalité objective en soi. Dans ce genre de situation j’ai le choix de m’autoriser le ressentiment ou pas. Je suis toujours libre, quoi qu’il arrive, de ma réponse à un contexte et de la façon dont je le gère en interne.
Habituellement chez moi le ressentiment émerge d’une situation où je n’ai pas fait ou dit quelque chose qui aurait pu créer un conflit. Ce que je dois faire pour éviter le ressentiment, c’est parler ou agir sincèrement sur le moment sans vouloir être gentil à tout prix, avoir le courage de dire ou de faire ce qui doit être dit même si cela crée un conflit, une situation inconfortable ou que je blesse l’autre.
Si le ressentiment surgit, je cherche le moment où je me suis caché derrière une personnalité « gentille », guidé par la peur de ce qui pouvait arriver si je disais ce que j’avais sur le cœur. Si malgré tout le ressentiment persiste, j’essaie d’accepter la souffrance nécessaire de le ressentir sans m’en vouloir à moi-même ou à l’autre. Pour moi le ressentiment, ça ressemble beaucoup à la haine: je me déteste de me cacher, je te déteste d’avoir souligné ma faiblesse.
Je pense à ma relation avec mon ex-mari où je lui en ai longtemps voulu de ne pas comprendre ma démarche « spirituelle », de ne même pas vouloir en discuter, malgré mes demandes répétées. Aujourd’hui, il m’apparaît qu’il s’agissait d’une revendication de ma part, donc de considération interne. Entre le moment où j’ai décidé de notre séparation et le moment où je lui ai annoncé que j’avais fait les démarches de divorce, c’est-à-dire environ 2 ans, tant que j’ai eu du ressentiment envers lui, j’ai observé, j’ai regardé quelle était ma part de responsabilité, je me suis débattue également. Il a fallu tout ce temps pour avoir la force de ne plus permettre à ce sentiment d’émerger, tant il a des ramifications venant du besoin de reconnaissance et in fine du sentiment d’injustice (à mon sens).
Quand ce sentiment émerge, si c’est un proche, je cherche à le dire ; mais à dire quand l’émotion n’est plus là, après que j’aie ressenti et exploré la crispation, l’impatience, les assauts du mental qui cherche des histoires. Si je dis, ça disparaît comme par enchantement. C’est le cas avec des proches avec qui ça se passe bien.
Mais j’ai un exemple plus difficile et qui a duré plusieurs années, avec le père de ma fille. Je lui en ai voulu longtemps de la façon dont il est parti, sans dire, justement. Comme s’il rendait impossible l’apaisement chez moi, par cette absence de mots. J’ai souffert de la permanence de ce ressentiment, comme un sentiment qui traîne derrière lui un relent, une mauvaise odeur. Je me débattais avec, et j’avais l’impression que ça n’évoluerait pas tant que je ne pourrais rien dire. Et dire n’était pas possible car il fuyait le contact. Un jour j’ai réalisé que « lui en vouloir », signifiait en fait « vouloir de lui quelque chose », là j’ai vu que c’était lié à mon envie qu’il change. Je me suis sentie piteuse, impuissante. J’ai lâché ça, accueilli la souffrance nécessaire, et ce ressentiment s’est détaché de moi. Je l’ai vécue comme une libération.
L’accueil de la souffrance nécessaire est le carburant de la transformation, et du coup, c’est une gratitude qui vient, une gratitude profonde et qui fait du bien.
Je gère la situation en m’interdisant, de façon presque automatique, le ressentiment envers autrui, et en regardant en moi ce que ce ressentiment masque. Je prends alors la pleine responsabilité de la situation. De là peut émerger une action, qui peut être de ne rien faire, ou de « passer mon chemin », ou de « me battre », ou …. Lors de situations où j’ai laissé entrer en moi le ressentiment, je me souviens m’être systématiquement coupé de la personne et j’ai envenimé la situation.
Les mêmes situations gérées aujourd’hui ne provoquent plus en moi qu’une éventuelle compassion, même si je peux décider de « me battre ».
C’est une situation que je ne rencontre guère : je bascule très vite dans la compassion envers l’autre ; j’ai la chance de pouvoir accueillir la souffrance utile, et j’ai conscience que cette personne ne sait peut-être pas ce qu’est la considération externe, ni qu’agir par intérêt personnel n’est pas compatible avec le sentiment d’ouverture du cœur, et qu’elle ne connaît probablement pas la souffrance utile ; j’ai de la peine pour elle. J’ai beaucoup de gratitude envers cet outil : l’accueil de la souffrance utile.
Dans le cas d’un différend, d’un conflit, d’un mensonge, quelqu’un qui m’a fait du mal, j’accuse le coup, le choc, j’accueille. Si je ressens de la colère, je m’efforce de la mettre de côté pour rester avec le ressenti. Après avoir pris du recul, quand je ne suis plus dans l’émotion, je m’adresse à mon interlocuteur, de vive voix ou par écrit, pour clarifier, en relatant les faits, en faisant preuve d’objectivité, et si nécessaire, je cherche une solution avec l’autre.
Cela permet de rétablir une relation saine, cela évite de rentrer dans la revanche, les représailles, la vengeance. Si mon interlocuteur n’assume pas sa responsabilité, ce qu’il a dit, ce qu’il a fait, s’il nie, s’il est de mauvaise foi, je lui montre, d’une manière ou d’une autre, que je ne suis pas dupe. Je lui rends ce qui lui appartient, je mets de la distance avec cette personne. L’important pour moi, c’est de rester propre, de ne pas me corrompre, de ne pas salir le sacré en moi.
Cette question soulève de vraies « zones blanches » en moi. Les dernières situations où « j’en voulais à quelqu’un » ont été mêlées avec de l’affect. Par exemple lorsqu’un membre du groupe a récemment démissionné de l’enseignement. J’en veux à la personne, car je me dis que, à sa place, je n’aurais pas agis de cette façon. Et il y a une incompréhension de ma part, une surprise et un jugement. Un truc qui « me tombe dessus », c’est extrêmement inconfortable et douloureux. Par contre je suis absolument incapable d’exprimer mon ressenti auprès des intéressés, objectivement, sans affect. J’ai plutôt envie de me mettre en colère. Ni exprimer, ni réprimer… j’ai bien ça en tête (je dis bien en tête et pas dans le cœur). Donc je n’exprime pas mais… je réprime. C’est là où je rate le coche. Je mets le couvercle dessus. J’avale la couleuvre. Je me mets en veilleuse. Et je laisse couler ce qui revient à dire que je démissionne… Manque de courage, lâcheté, couardise. Ça remonte à loin, je m’en rends compte aujourd’hui.
J’ai trouvé plein de petites situations où « en vouloir à l’autre » émerge :
lorsque quelqu’un me fait une queue-de-poisson : je grogne, juge, traite le gars d’abruti avant de prendre du recul. Il y a comme un stop mental, une prise de distance (détachement) et en même temps, une relaxation corporelle. Parfois, c’est accompagné d’un sourire intérieur ou d’un commentaire du genre « c’est la vie » ou « voilà encore une identité de macho qui s’exprime ».
Un collègue, dont je dépends pour avancer, a promis de faire quelque chose qu’il ne fait pas ou mal, et je dois en subir les conséquences. Ça m’irrite et je lui en veux intérieurement avant de prendre conscience que je m’en veux surtout à moi de m’être fait piéger. S’ensuivent alors immédiatement une détente et un pardon à lui et à moi-même.
En synthèse, il me semble que le processus est toujours le même :
1. Situation provoquant un inconfort que je n’accueille pas immédiatement
2. Réaction (rejet/colère) plus ou moins longue = souffrance inutile jusqu’à ce que :
3. Accueil de la souffrance nécessaire et relaxation corporelle permettant de trouver la réponse juste
4. Qui peut être un simple sourire intérieur ou une action de type « fuite », « coup de poing dans la gueule » ou « je fais ce qu’il y a à faire ».
En fait il s’agit de se mettre dans les chaussons de l’autre, tout en restant à l’écoute de l’action à mener en soi dans ses propres chaussons. Si j’observe les dernières expériences où j’ai dû gérer ce ressenti en moi, c’est très différent si l’affectif joue un rôle dans la gestion de la situation ou pas. Par exemple dans les situations avec l’administration, avec le relationnel médical à différents niveaux, je peux me mettre dans les chaussons de l’autre, gérer dans l’instant la possibilité d’un dialogue sans projections trop polluantes. Je me sens patiente et tenace, je garde le cap et je mène l’action nécessaire selon le contexte.
Dans les situations avec un relationnel affectif, je peux aussi me mettre dans les chaussons de l’autre. Mais il me faut alors plus de courage pour être dans l’action sans que je me perde moi-même, sans que j’oublie l’essentiel qui guide mes pas. Il faut le courage de me mettre dans les chaussons de l’autre tout en allant à la rencontre de moi-même en faisant face à mes mécanismes identitaires polluants.