Parlons de l’intérêt personnel. Comment est-ce qu’on le définit ?
C’est très lié avec la conscience corporelle et la peur. La première chose, c’est que quand je suis dans l’intérêt personnel, je sens une contraction, je perds la conscience corporelle et c’est souvent lié à la peur, notamment la peur de manquer.
On ne peut pas juger l’intérêt personnel au comportement, mais à l’intention et l’attitude intérieure.
Parfois, quelqu’un qui donne peut le faire par intérêt personnel. Pour Mère Teresa, on ne saura jamais si c’est par intérêt personnel.
J’ai entendu : «quand il n’y a pas d’intérêt personnel, il n’y a aucune peur ». Je ne suis pas surpris car pour moi, tout intérêt personnel vient de la peur. La création même de l’égo est basée sur la peur. La peur renforce la création de l’idée de l’égo.
L’intérêt personnel, c’est la façon qu’a notre croyance de base de s’exprimer dans la vie.
À l’origine, je pense qu’il y a la peur de l’abandon et du vide.
On ne peut pas traiter les sujets intérêt personnel et sincérité avec soi-même séparément. C’est un seul sujet. Dans ce travail, il est essentiel de débusquer l’intérêt personnel grâce à la sincérité avec soi-même.
Je me rends compte du piège à vouloir pointer l’intérêt personnel chez l’autre. Que c’est en fait, souvent fait au titre de l’intérêt personnel, pour éviter de se regarder soi-même.
Il y a un lien très fort entre l’intérêt personnel et l’évitement de la souffrance.
C’est la façon qu’a notre croyance de base de prendre forme.
Ce qui est douloureux, c’est de regarder sa propre crasse.
Quand quelqu’un me demande de l’aide, je ne peux pas savoir à l’avance si je vais l’aider ou pas. Ça dépend du contexte ; en fait, si on a une intention cachée dans ce qu’on fait, il y a de l’intérêt personnel. L’action juste survient dans le moment.
De même, quand je m’engage à aider quelqu’un, je m’engage dans l’instant, mais je ne peux pas le garantir dans le temps.
Là où ça coince, c’est dans les contrats sociaux, en famille, en société. Toi tu ne peux plus te mentir ou te corrompre, mais l’autre n’est pas prêt à l’entendre. On ne peux pas éviter d’avoir les réactions des autres qui vont s’éloigner de toi ou te parler d’égoïsme, car ils ne peuvent plus te manipuler.
Où est la frontière entre l’intérêt personnel et le souhait ?
Quand tu es attaché. Tu peux avoir des souhaits mais il ne faut pas que ton ego y soit investi.
J’ai un exemple. J’ai une collègue avec qui on s’aime bien… et j’aimerai bien qu’on se voit plus souvent mais on ne travaille pas ensemble directement.
S’il y a des opportunités, tu les saisies, mais tu ne fais rien de particulier pour. Le souhait ne doit pas devenir un désir. Laisse la vie décider. Peut-être que si tu ne la revois jamais, ça va sauver ta vie. Si tu as un bon ressenti à propos d’elle, c’est ok, mais tu n’as pas besoin de la voir pour avoir ce ressenti.
Comment est-ce que tu situes le désir dans l’enseignement, et est-ce que tout désir est lié à l’intérêt personnel ?
Il faut aller voir pourquoi on désire quelque chose. Quelle est l’intention, la racine du désir ?
Pour moi le souhait est indépendant du résultat, alors que le désir est attaché au résultat et associé à une tension. Dans le souhait, il n’y a pas de tension.
Dans le désir, il y a quelque chose qui manque, que je désire avoir pour combler ce manque, au lieu d’accepter la souffrance nécessaire liée à ce manque ou à la peur de ce manque.
J’ai noté que lorsque je vais avec le désir, je constate que je commence à penser à toutes sortes de stratégies pour satisfaire mon désir, par exemple d’une rencontre avec une certaine personne, et je perds la conscience corporelle. Mais si je reviens dans la conscience corporelle, ce n’est plus là.
L’important est que, quel que soit le résultat, ça ne devrait pas faire de différence. Mais le désir, à mon avis, ça va disparaître ici chez les gens. C’est tellement futile. Il y a forcément une tension et ça te sort de la conscience corporelle et de l’équanimité. Désirer quelque chose, c’est un peu maso. Ça ne vaut pas la peine. C’est une perturbation pour le système nerveux. Il n’y a rien qui justifie d’avoir des désirs…
Dans la vie, il faut faire un peu « comme si » parce que sinon, ça ne passe pas bien.
Le seul désir valide est celui d’aller chercher un enseignement. Ça apparaît poussé par la fausse personnalité, mais en réalité, c’est la valeur de base qui agit en dessous.
Je suis d’accord : c’est le seul désir valable. C’est, au début, de vouloir comprendre qui on est, de se lancer dans la quête de l’ultime.
Je dirais que c’est plutôt un appel. Car dans le désir, on sait ce qu’on cherche, alors que là, quand j’ai commencé, je ne savais pas vraiment ce que je cherchais.
Oui, je suis d’accord. Mais pour certains individus, je sais que certains instructeurs recommandent de mettre toute les forces de son ego dans la quête : « Vis ton ego, montre le moi et vis tes désirs ». Ce sont des gens qui sont au début très acharnés. De toute façon, si vous tombez sur un vrai enseignant, il va vous aider à canaliser votre énergie.
Quand tu es petit, tu n’as pas de désir. Tu es dans la non-séparation. Les désirs sont des projections des parents. Ensuite tu grandis, tu perds cette innocence. Avec le chemin, tu réapprends à retrouver cette innocence de l’enfant, mais avec la responsabilité et la conscience, qui font toute la différence.
On a parlé de la différence entre le désir et le souhait. Et pour le désir sexuel ?
Je n’appellerai pas cela du désir. C’est biologique. Pour moi, c’est un non-sujet. Je ne vois pas de relation avec l’enseignement. Il existe des enseignements tantriques, mais il faut un maître tantrique pour transformer l’énergie sexuelle. Ça ne fait pas partie de mon enseignement.
Et pour le désir d’alcool, de sucre, c’est pareil ?
Ce n’est pas un désir non plus. De l’addiction, oui. Mais ça ne fait pas partie du travail ici. Une fois, on m’a posé une question à propos de l’addiction au tabac, et j’ai répondu que ce n’est rien à côté de l’addiction à l’ego. Ce n’est pas essentiel. Les outils appris ici sont suffisants pour se sevrer de son ego.
Je confirme. Par rapport à l’addiction, soit tu acceptes, soit tu trouves ta solution individuelle.
Est-ce que l’addiction n’est pas un moyen de créer de la souffrance nécessaire ?
On n’a pas besoin d’outils pour créer de la souffrance nécessaire. Il y a assez d’opportunités dans la vie.
Une façon pour moi d’éviter la souffrance nécessaire, c’est de partir en imagination. Par exemple, plutôt que de confronter l’absence d’une personne désirée, je fantasme. Est-ce que manger des bonbons, c’est aussi une façon d’éviter la souffrance nécessaire ?
Ce n’est pas l’activité de manger des bonbons, de regarder la TV, etc. qui est en cause, c’est ton ressenti intérieur, en toute sincérité, de savoir si tu es dans l’évitement de la souffrance nécessaire ou pas.
Il y avait un saint indien qui s’appelait Ramakrishna Paramahamsa qui était toujours en extase. Et il mangeait la plupart du temps des sucreries. Il n’avait presque plus de dents. Quelqu’un lui a demandé : « pourquoi tu manges autant de sucreries, ce n’est pas très sain ?» Il a répondu : « c’est la seule chose qui me garde en vie. » Et effectivement, quand il a arrêté, il est mort dans les jours qui ont suivi.