Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

La colère, force transformatrice

Quand c’est une émotion négative, la colère est clairement un trait identitaire. Mais ça peut être les deux. On peut aussi être en colère sans créer de séparation ; par exemple, quand un père est en colère contre son enfant, tout en continuant à l’aimer même pendant la colère. La séparation se recrée quand on s’identifie à la colère contre quelque chose, contre soi-même ou contre l’autre.
C’est pour ça que la colère n’est pas toujours un trait identitaire. Parfois, ça peut aussi aider à réveiller quelqu’un. Mais il ne faut pas créer de séparation.

Cette colère bienveillante avec de l’amour, c’est ce qu’on a appelé parfois la colère divine. Elle contient quelque chose de juste, qui ne touche rien d’autre. Alors que l’autre colère te met forcément dans la séparation.

Oui, elle crée la souffrance inutile en soi-même.

Avec le rejet de l’autre.

Le sujet est intéressant, car cette colère chez les enfants de trois ans qui se jettent par terre, est une colère constituante de leur identité. C’est vraiment très fort. Ils rejettent le vrai et s’affirment dans le faux.

Avec la frustration aussi.

C’est une réaction à l’impuissance, face à quelque chose qui ne se passe pas comme ils veulent. C’est clair qu’à l’origine, tu retrouves toujours l’impuissance.

De la même façon que la prétention est un cas particulier des mécanismes identitaires, la colère est aussi un cas particulier car elle va très loin dans la construction et la restitution de l’identité. Les adultes qui se mettent en colère séparatrice, recréent leur identité. Après, ils se sentent mieux, plus forts, car la colère a renforcé leur identité. Chez les enfants, c’est constitutif de l’identité.

Selon l’ennéagramme ou d’autres modèles, la colère va fonctionner différemment suivant les types de personnes.

Effectivement, ça peut s’exprimer différemment. La colère peut aussi se retourner contre soi-même. Mais je crois que c’est vraiment l’énergie de transformation quand on va plus loin dans l’enseignement. La colère, c’est la première de toutes les forces de transformation. Il faut d’abord accueillir la souffrance nécessaire, mais quand tu as un accès de colère et que tu parviens à rentrer dans la souffrance nécessaire au lieu de laisser la place à l’expression ou à la répression de la colère, c’est là où tu vis que la négativité en conscience, est une grande force de transformation. C’est ce qui nous fait grandir.

Je suis d’accord sur la force transformatrice des émotions négatives, mais je ne suis pas convaincu que c’est vrai uniquement pour la colère. Il me semble que ça peut-être d’autres émotions négatives pour d’autres personnes, comme la tristesse par exemple.

Non. La colère va au-delà de ça. La tristesse n’a aucune force transformatrice. Il faut quand même voir la colère et surtout, ne pas la supprimer, ni l’exprimer. C’est là où ça se joue. Après, il y a différentes formes d’expression de la colère, mais à la base, ça ne change rien. La colère, c’est une force extraordinaire, une force vitale. Et c’est à double tranchant, ça peut détruire mais ça peut aussi régénérer.

Et des fois, elle peut consister à ne pas arriver à se mettre en colère. Mais c’est toujours la colère.

À la base de chaque séparation, il y a toujours la colère.

L’expression peut être différente, mais l’essence, c’est la colère. C’est évident.

Moi, je me demande comment je peux travailler ça.

Il faut surtout le travailler quand ça arrive. Tu ne peux pas faire grand-chose avant.

Mais concrètement, quand je sens que ça monte, qu’est-ce que je peux faire ?

Déjà, accueillir la souffrance nécessaire qui est cachée. La colère veut cacher la souffrance nécessaire. Il n’y a que la vigilance, et aussi, le fait de mémoriser les gueules de bois que tu as vécues après avoir raté ça. Il n’y a rien d’autre. Comme un adolescent qui a parfois la gueule de bois et qui se dit, « je boirai moins la prochaine fois ». Les accès de colère sont totalement néfastes. Ils doivent devenir un facteur de rappel. C’est pareil avec les accès de panique. Il faut absolument tout faire pour te rappeler systématiquement que la prochaine fois, tu accueilleras la souffrance nécessaire et l’impuissance. Il faut le décider vraiment et te rappeler régulièrement de ne pas te laisser aller. Je crois que c’est tout ce que tu peux faire.

Il y a une frustration liée à la même origine. Soit c’est de la colère, soit de la panique, mais c’est lié à l’impuissance.

Mais le savoir ne suffit pas. Je connais bien cela et je voudrais souligner un point : c’est de prendre absolument toutes les opportunités, même minimes pour accueillir la souffrance nécessaire, car plus tu vas le faire tout le temps et plus tu pourras le faire facilement au moment où c’est gros. Parce que sinon, quand c’est gros, c’est trop tard. Et il faut arriver à t’enclencher sur une spirale qui monte. Sinon, tu retournes toujours au même point et tu n’avances pas. Et comme le dit W., ce qui est très important, c’est de trouver tout ce qui est possible pour t’en souvenir au moment où c’est vital.

C’est quasiment une décision existentielle : « je ne veux plus ça ».

Et je pense que tu peux repérer les contextes propices, les contextes où il y a des signes avant-coureurs et où la vigilance doit être absolue.

Oui, il y a une lumière rouge qui s’allume.

Il s’agit vraiment d’affiner la vigilance. Comme dans la métaphore où au début, tu vois que l’éléphant est déjà passé, après, tu vois la queue de l’éléphant, plus tard, tu le vois quand il montre sa trompe, et enfin, tu sais qu’il va passer avant qu’il n’arrive. Là, tu détectes la colère, mais ensuite, tu vas peut-être détecter un peu plus tôt, les rationalisations que tu fais pour tempérer une colère qui arrive avec des pensées comme « c’est pas grave », alors que peut-être, justement à ce moment, tu n’es pas en train d’accueillir la vraie souffrance nécessaire, mais de générer une accumulation de frustration qui risque d’exploser. Et après, quand tu es en train de discuter avec quelqu’un qui déclencherait normalement ta colère, tu trouveras des mots plus justes qui désamorceront le processus. C’est vraiment remonter de plus en plus la chaîne avec la vigilance. C’est de l’observation.

Et la vigilance consiste à savoir en permanence que ça peut arriver dans le prochain moment, et tu dois à chaque instant pouvoir basculer dans l’accueil.

Quand dans ton enfance, tu as connu la colère, à travers celle du père par exemple, Il y a deux réactions : soit tu la reproduis, soit tu la refuses en te mettant en retrait, mais c’est faux. Ce n’est pas accueillir.

Ni exprimer, ni réprimer.

Exactement. Et la colère, c’est un bon moyen pour se rendre compte de ces deux facettes ; ce n’est pas parce qu’elle n’est pas exprimée qu’elle n’est pas là !

C’est donc de voir immédiatement la souffrance nécessaire que j’essaye de cacher à travers la colère ?

Oui. Et pour ceux qui connaissent la colère, quand vous repensez à une expérience où c’est arrivé, ça vous renvoie à quoi ?

Donc on voit bien que c’est ça La grande force de séparation. Elle crée l’identité ou rafraîchit l’identité. Mais il y a aussi là, une force transformatrice pour aller au-delà de l’identité, pour la lâcher.

Je commence à comprendre. Il y a des choses qui se mettent en place pour moi. Car la colère, je la connais très bien. Je dirais même que c’est elle qui me fournit mon énergie vitale. Mais je n’avais pas encore fait le rapport avec le retrait. Je crois qu’il y a vraiment là un gros angle mort.

Toi, tu étais plutôt réprimée. Mais le travail est le même. Quand tu détectes la colère, il faut accueillir la souffrance nécessaire et transformer l’énergie.

à A. : Et en plus, tu avais cette façon de te réfugier dans le silence, la solitude.

Moi, j’appellerais ça « disparaître ».

Oui. Complètement.

Oui, par rapport à la colère, la colère intériorisée, comme l’a vécue A. qui consiste à se réfugier dans le fait de ne plus être là, d’être absent, je me suis rendu compte que je connais ça, et ça m’a fortement remué ; c’est une espèce de « fond de protection » pour ne pas poursuivre plus en profondeur tout en restant dans la conscience corporelle, et c’est encore l’expression d’un mécanisme identitaire.

Le pire, c’est que ce qu’on vient d’expliquer là, sur la colère, je le savais d’une façon intellectuelle, et que ça s’était complètement effacé.

C’est ça le danger, parce que quand tu loupes ça, tu perds beaucoup de bénéfice à chaque fois. C’est une force très destructrice aussi pour le travail sur soi. Il faut que vous le sachiez. Ça peut annuler en quelques secondes le fruit du bon travail fait pendant plusieurs années. Ce qui veut dire que plus on est avancé, moins on a droit au faux pas. Après, on est dans une souffrance qui est inutile et nécessaire en même temps. Inutile parce que produite suite à une grosse erreur, un manquement, et nécessaire parce que cette souffrance a besoin de temps pour s’évacuer. C’est comme la gueule de bois, mais qui peut durer plusieurs jours ou même plus, où tu ne retrouves plus ton état de grâce, ta conscience corporelle, qui peuvent disparaître temporairement. Ça perturbe tout ce que tu as accumulé comme fruit du bon travail sur toi. Ensuite, tu ne sais plus grand-chose, tu perds le fil rouge, et ça engendre de la confusion. Normalement, il devrait suffire de le vivre une fois ou deux, pour qu’après, tu fasses tout pour ne plus le reproduire.