Note au lecteur : le bleu italique correspond à l'instructeur ; en noir, les autres intervenants.

La prétention, base de l’identité

(à M.) Y a t-il un sujet qui te parle particulièrement parmi ceux qui sont sur la liste des mécanismes identitaires ?

Peut-être l’orgueil, la vanité.

L’arrogance, ça te parle aussi ? Le mieux est de commencer avec un exemple pour savoir ce que tu mets derrière ces mots.

Oui. Parfois, je me sens supérieur aux autres et ça s’exprime par le fait qu’ils m’ennuient. Les interactions avec les autres me pèsent très vite et je peux parfois les envoyer sur les roses, même si je ne m’en rends pas toujours compte.

Il y a un jugement sur les autres ?

Oui. Et je sens en moi une tension. Ces dernières semaines, j’essaye de l’observer davantage et de ne pas l’exprimer, même si je la ressens. L’arrogance s’exprime aussi dans le fait que je suis très curieux, j’essaye de me documenter à fond sur un sujet et si je crois à quelque chose, j’y vais tête baissée. C’est comme si ça devenait la vérité pour moi et du coup, je perçois tout le reste comme moins bien, même si je n’essaye pas forcément d’imposer mon point de vue. Par exemple, je fais du potager bio et je me suis fait manger tous les légumes par des campagnols, mais malgré tout, je regarde de haut ceux qui utilisent du Round-up et ce genre de méthode que je vais juger comme archaïques.

L’exemple que tu viens de donner, c’est l’exemple même de la prétention de savoir. J’ai une meilleure information que l’autre et je vais imposer mon point de vue.

Non, je n’essaye pas d’imposer mon point de vue. C’est plus sournois, à travers des ricanements par exemple. Je peux être assez fourbe et ça s’exprimerait plutôt comme ça. Ça vient sûrement aussi du milieu familial avec mes grands-parents qui sont très religieux, très carrés. Mon grand-père croit savoir beaucoup de choses sur la vie après la mort par exemple.

Donc, on dirait qu’il y a un sentiment de supériorité dans toute la famille.

Oui, mais surtout chez les hommes. Les femmes se soumettent, elles sont plutôt dépendantes des hommes.

Ca veut dire que tu as évolué dans un milieu qui se sent supérieur, un peu comme des nobles par rapport à des non-nobles, même si dans ton cas, il ne s’agit pas de cela. C’est un peu dans cet esprit- là que tu as évolué.

Oui, parce que c’est une petite branche religieuse qui est persuadée de savoir mieux que les autres. Et mon père, en essayant de fuir ce milieu, a reproduit la même chose en rejoignant un groupe Gurdjieff. Et j’ai peut-être fait pareil de mon côté.

Non.

Peut-être pas exactement, mais il y a cet élan et cette recherche, avec peut-être moins d’aveuglement.

Non, mais je crois qu’il est nécessaire pour toi de te détacher totalement de cette idéologie.

Pour l’idéologie de mes grands-parents, j’en suis complètement détaché. Pour mon père, il n’en parle pas, il est très secret. Mais il y a un esprit de supériorité marqué dans la famille. Même si en apparence, mon grand-père peut paraître très humble, en arrière-plan, il y a de l’orgueil et quelque chose qu’il ne lâche pas. Et quand je me mets moins de pression, quand je me laisse aller sans me juger, sans avoir une main mise sur mon personnage, parfois, j’observe des mécanismes de prétention ; j’essaye de ne pas me prendre au sérieux ni de me juger vis-à-vis de ça.

De ne pas y croire. Je veux dire, de ne pas croire dans la réalité de cette prétention, pour que tu ne t’y enfonces pas davantage.

Non, ça non, parce que si je rentre là-dedans, c’est l’enfer pour moi. C’est invivable.

Donc si je comprends bien, tu es bien équipé pour déjouer ce schéma. Tu n’y crois pas, même si de temps en temps, il y a des amorces de ce mécanisme, mais tu n’y vas pas à fond. Est-ce que c’est ça ?

Oui. Mais mon père m’a enseigné à être fier et orgueilleux parce que sinon, j‘étais un moins que rien. Parfois, il y a de la frustration d’être avec les gens, des anciens amis par exemple, et de voir la médiocrité de leurs comportements autour de moi. Et là, je ressens des montées de cette prétention.

C’est parfois dur d’accepter la médiocrité des gens, car elle est réelle.

C’est plus une question de posture par rapport à ça. Quand on se construit, il faut prendre une position et c’est là que j’ai construit ce personnage qui était en recherche de quelque chose de supérieur. Et je n’étais pas du tout sur la même longueur d’onde que mes amis qui se complaisaient dans l’alcool, la drogue et la négativité.

Et est-ce qu’on peut dire que l’identité, à la base, est un mécanisme prétentieux ?

Oui, je pense que oui. L’identité en général ? Oui. Quelle que soit la prétention et quelle que soit la manière dont elle s’exprime, je pense que c’est une prétention, un certain orgueil, une certaine affirmation de l’insaisissable, ou quelque chose comme ça. Je ne sais pas si ça vous parle.

C’est intéressant ça.

C’est le rien qui essaye de passer à la postérité. C’est dans cet esprit-là que je le ressens.

Je suis, donc je prétends.

C’est la seule option. Je veux construire mon identité, mais pas me contenter d’une personnalité intrinsèque, déjà donnée, comme par défaut. C’est comme ça que je le vois. L’identité est une fausse route.

Ca veut dire qu’un enfant apprend à prétendre. C’est l’apprentissage principal.

Et c’est là que ça peut devenir lourd.

Ça dépend jusqu’où tu adhères

Oui, c’est ça.

Donc on peut dire que la prétention est à la base de l’identité.

Il y a plusieurs définitions pour la prétention. La première : « Réclamation de l’exercice d’un droit sur quelque chose. Exemple : Un prince qui maintenait ses prétentions au trône ». La seconde nous parlera plus : « Fait de se prévaloir, plus ou moins présomptueusement, d’un avantage. Exemple : Une prétention à l’élégance ».

Est-ce que ce ne sont pas les traits principaux de chaque ego, ces deux définitions ?

Oui, au sens où l’ego est une prétention. On prétend qu’on est.

C’est ce qui se vérifie avec ces définitions.

La troisième : « Attitude de quelqu’un fondée sur une opinion trop avantageuse qu’il a de lui-même ».

Cette définition fonctionne aussi pour l’identité.

Oui, mais ce n’est pas neutre. Quelqu’un qui est plutôt écrasé, modeste, quand il voit le mot prétention, il se dit que ça ne le concerne pas.

Non, je ne suis pas d’accord. S’il est de bonne foi, sincère avec lui-même, il reconnaît que son écrasement et son misérabilisme sont aussi de son ego.

Il y a une quatrième définition : « Ce qui dans quelque chose reflète la volonté de montrer une certaine supériorité. Exemple, un ameublement plein de prétentions ».

Ça c’est parfait pour l’ego. Il se croit Dieu. Pour moi, ça correspond parfaitement.

Déjà, l’ego prétend exister. Qu’est-ce que tu peux faire de pire ?

Mais quand tu dis, je prétends exister, c’est relativement neutre. Il n’y a pas de jugement de valeur bien-mal, dedans. Il y a juste une illusion, alors que dans toutes les définitions qu’on a vues, il y avait une notion de « je prétends être mieux que ».

Oui, être mieux que rien.

Tu pourrais aussi dire, je prétends être différent de rien, et là, il n’y aurait pas le « mieux que » et pourtant, je ne serais pas non plus dans le rien. Je serais dans la neutralité.

Non, parce qu’en réalité, comme W. l’a dit, tu prétends être Dieu. Il ne faut pas le dire comme ça parce que le mot « Dieu » est trop connoté. Mais tu prétends être mieux que rien, c’est très clair.

Regardons les synonymes de prétention.

Les synonymes : arrogance, vacuité, infatuation, outrecuidance, présomption, suffisance, et vanité. Les contraires : modestie, simplicité, humilité.

Je resterais avec le mot prétention. En anglais « to pretend ». En allemand « vorgeben ». Et je me demande si on ne peut pas utiliser le mot « imposteur » pour l’imposture de l’ego.